La curiosité est un vilain défaut...et alors?

Parmi les nombreuses (mauvaises) habitudes des élèves en cours, il s'en trouve au moins une que j'affectionne particulièrement: l'échange de "petits mots" ou "messages". Je sais que certains collègues interceptent ces petits mots puis les déchirent sans pitié avant de les jeter sans même y jeter un regard. Ce n'est pas mon cas...Comme je suis assez pragmatique, je trouve qu'il serait dommage de se priver ainsi d'une potentielle source d'information pouvant à l'occasion faire office de moyen de pression sur un élève récalcitrant: du style " que penserait ta maman des petits mots d'amour que tu envoies à X pendant les cours? ah bon elle n'est pas au courant? et si ton petit mot venait malencontreusement à atterrir devant ses yeux pendant la réunion parents-profs?...". Je suis une "pourrie" je sais et j'assume!! Que nous reste-t-il à nous pauvres profs si on ne peut même plus utiliser le chantage comme outil pédagogique? (lol)

Donc j'ai ma technique à moi: lorsque je repère un élève (le plus souvent une élève d'ailleurs, les garçons étant plutôt adeptes du langage oral pour faire passer leurs "messages", ce que l'on nomme "interventions intempestives" en jargon professoral) bizarrement affairé à griffonner quelque chose sur un mini-bout de papier alors que la classe est en pleine activité orale, et qu'en plus cet élève, tenaillé par la culpabilité, jette de fréquents regards inquiets à la ronde...je laisse l'élève finir! Ne jamais briser net l'élan créatif d'un enfant/adolescent, les effets sur sa vie future et les dégâts psychologiques causés pourraient être désastreux! Donc, telle la panthère tapie dans l'ombre guettant le moment où sa proie est à point pour tomber dans ses filets, j'attends tranquillement que l'élève mette la touche finale à sa missive, puis bien sûr laisse la-dite missive atteindre son destinataire. En effet, l'élève, malin parfois, omet volontairement d'écrire le nom de son destinataire, cet "oubli" peut alors causer des problèmes de compréhension dommageables et donner lieu à moultes supputations en salle des profs entre midi et 2 (et on n'a quand même pas que cela à faire...). Ensuite, pendant que l'heureux(se) élu(e) prend connaissance de son courrier, moi je m'avance, l'air de rien, légère et surtout discrète comme une gazelle, en foudroyant du regard les voisins de mon "lecteur" qui seraient tentés de le prévenir. Et là...SCHLAK! je m'empare du précieux document! Selon la nature de son contenu, auteur et lecteur blêmissent de peur ou rougissent de honte. Mes élèves me connaissent bien maintenant, ils savent qu'il n'y a aucune chance que je jette le message sans le lire. Alors en général, une sorte d'excitation assez comique s'empare de la classe: les élèves sont pires que des paparazzi entre eux, dès que j'ai le papier en main, ils supplient: "oh SVP Mdame, lisez-le à voix haute! lisez-le à voix haute!..." Ah lala, aucune solidarité ces jeunes vraiment, c'est presque trop facile!

Bien sûr, je prends tout mon temps pour déplier le papier, puis le parcourir du regard. Bien sûr aussi que je ne lis jamais à la classe un message diffamatoire à l'égard d'un autre élève (par contre j'en écris un moi de "message" sur le carnet de mon scribe en herbe!), ou des choses trop personnelles. D'ailleurs je préviens toujours les élèves en début d'année lors de mon traditionnel discours de rentrée, en prenant un ton très solennel: "je préfère vous prévenir, je suis la prof la plus curieuse que vous n'aurez jamais! j'adore intercepter les messages que vous vous échangez pendant les cours! bien sûr je les lis à voix haute, surtout si c'est croustillant! et ensuite je me fais une compil de tous vos messages pour les ressortir en conseil de classe ou en réunion parents-profs au cas où on s'ennuierait...alors surtout ne vous gênez pas!". Pour conséquence de cette tirade, j'ai généralement droit à un silence de mort et des regards horrifiés, les élèves me voyant pour la 1ère fois ne savent évidemment pas si c'est du lard ou du cochon!

Il faut reconnaître qu'au final, j'intercepte peu de messages, et lorsque c'est le cas ce sont généralement des mots insipides du style "t'as eu combien en histoire?" ou "ma mère elle dit que tu peux venir manger demain" ou encore " c koi le nom de la meuf à machin ki est en 4e13?".  Cette année quand même j'ai bien ri car, une fois n'est pas coutume, j'ai une classe qui a beaucoup d'humour; je veux bien sûr parler de mes 5e Choupinous qui sont tro-trognons! Comme ils ont bien compris à qui ils avaient affaire (car j'ai pu mettre en application mes préceptes à plusieurs reprises avec eux), ils ont décidé un beau jour de s'amuser un peu à mes dépens (c'est de bonne guerre, et puis c'est bon enfant, et puis surtout je les aime bien et c'est réciproque alors il n'y a pas de mal):

un beau matin donc, j'intercepte 2 messages: sur le premier était écrit "ceci n'est pas un message!". OK, telle est prise qui croyait prendre! je me disais d'ailleurs au moment d'intercepter ce morceau de bravoure qu'ils n'étaient vraiment pas très discrets pour une fois, à croire qu'ils cherchaient à se faire prendre...

Sur le 2e était écrit "BISCOTTE!" et le petit Jean-Robert de s'exclamer, au cas où je n'aurais pas compris: "il faut le lire à voix haute celui-là, Madame! parce que lui il est vraiment très croustillant!!!". Il y en a peut-être qui se seraient offusqués ou vexés, moi ce sens de la répartie m'a bien fait rire.

Je suis un peu triste quand même car comme ils me connaissent décidément bien mes élèves, je n'ai rien intercepté de savoureux depuis un moment, surtout chez les plus grands! Me voilà sans doute punie pour ma curiosité...

Nosy Bridget.

Comments

[Bridget]

merci!....mais dis moi, tu as raison! j'ai fait moins de 3 coups de molette cette fois...ohlala je me ramollis, mais que m'arrive-t-il donc???
pour les élèves neuneus je pourrais te parler de mes fifilles de 4e qui gloussent comme des pintades dès qu'elles voient l'expression "a bit" quelque part...ou de mon Marvin de 3e qui me regarde droit dans les yeux sans fléchir avec son sale petit sourire fripon de provocateur pour me dire, au sujet d'un rappeur quelconque "Miss, I like the beat of his songs...and you?"....ah qu'il est dommage que certains élèves ne restent pas à jamais figés au stade de Choupinous !(si tant est qu'ils parviennent à ce stade un jour...)
Bridget Rrrrrr....!!!

[Juliette]

Juste pour dire que j'ai bien ris en lisant ce texte (pour une fois abordable en à peine 3 coups de molette!!). J'aime bien l'image de la panthère tapie dans l'ombre (rrrrr )et surtout, je trouve que ces 5e Choupinous ont un humour rafraichissant et surtout intelligent -pas comme bon nombre de mes 3e Neuneus qui pouffent encore de rire pendant 5 bonnes minutes en lisant le verbe "bite, bit, bitten " (sixième verbe de la liste bien connue de tout élève de 3e...)- Bref: bravo les choupinous!
Juliette à l'escalier

[Bridget]

je vois donc que c'est de leur prof principal qu'ils tiennent leur petit côté "vicelard" (je me disais aussi...)...mais bon ils n'en restent pas moins choupinous c'est déjà ça... pour ce qui est des astuces, comme ils sont très éveillés et friands de nouvelles connaissances, je crois que je m'en vais les corrompre un peu à mon tour... même si c'est peut-être moins utile (?), il n'y a pas de raison qu'ils ne manifestent pas leur grande vivacité d'esprit et leur imagination en histoire...

[df]

Ils t'ont bien eu les choupinous. Demain, je vais les féliciter et leur apprendre d'autres astuces....
DF