Prof, qui es-tu?
Une discussion avec des amis non-profs aujourd'hui me donne l'occasion d'inaugurer une nouvelle catégorie concernant les "Questions" multiples et variées, existentielles même parfois, que se posent nos élèves. Contrairement aux idées reçues, le plus grand objet de curiosité de l'élève lambda lorsqu'il est en classe n'est pas forcément le sujet du cours mais bien plutôt l'énergumène devant le tableau qui s'évertue à lui "transmettre ses connaissances, savoirs et savoir-faire" comme on nous le rabâche à l'IUFM, je veux bien sûr parler du PROF, et si c'est UNE PROF, il semble que l'intérêt s'en trouve décuplé chez certain(e)s élèves...
Comme je ne voudrais pas généraliser, je me contenterai de mon cas personnel (il y a déjà fort à faire, ce ne sont pas mes collègues qui me contrediront ...lol!).Chaque année depuis le début de ma (courte) carrière, il se trouve toujours au moins un élève (par classe, et même par rangée !) pour me demander:
- mon prénom,
- mon âge: c'est LA question qui taraude tous mes élèves! ils la posent de manière détournée parfois "ske vous z’avez l'air jeuuuune, Madame! ...et vous l'êtes vraiment?" ou "c'est quand votre anniversaire?...ouais ok pour le mois, mais l'année.. ?.", j'ai même eu droit l'an dernier à "vous êtes des années 1800 ou 1900??", je pense que, maîtrisant mal le français, l'impertinent voulait dire "des années 80 ou 90?" (enfin j'espère...!) ,
- mon numéro de téléphone (et depuis peu mon adresse MSN puisque jeune comme je le suis, je chatte forcément sur MSN...!)
- mon adresse (enfin là c'est plus rare puisque pour beaucoup d'élèves, les profs vivent, mangent, dorment (et peut-être même pire encore...) au collège!) là attention, petite anecdote!:lors de ma toute première année, en région parisienne dans le fameux 93, je m'étais présentée à mes petits 6e survoltés en leur disant que je venais du département de *Biiiiiiiiiiip* en province, situé quelque part dans une région montagneuse à des milliers de kilomètres de Paris. Les questions ont fusé :
« et vous venez tous les matins de là-bas pour nous faire cours ? mais comment vous faites alors ? vous dormez dans le train ? »… « mais non réfléchis ! elle doit prendre l’avion, ça gagne un prof… ». Et toute la classe de me regarder en faisant « Aaaahhhh ! ». Bon quand je leur ai dit que non je ne faisais pas les trajets *Biiiiiiiiiiip*-Paris tous les jours, et que donc je vivais « quelque part en région parisienne », ils ont quand même reconnu qu’en effet c’était plus logique et quand même moins fatigant…
Autre question : « mais là-bas quand vous rentrez, vous habitez dans un chalet tout en bois comme on voit à la télé ? et vous faites du ski souvent ? ». Imaginez ma tête à ce premier contact ! je m’attendais presque à les entendre me demander si je connaissais personnellement les marmottes qui emballent les tablettes de chocolat Milka dans leur papier… je n’avais jamais vu de gamins aussi déphasés…en même temps ils étaient très touchants avec leurs questions, on voyait vraiment à leurs petits yeux brillants qu’ils se faisaient déjà tout un film de leur prof d’anglais vivant, telle Heidi, une « vie de rêve dans son chalet en bois, parcourant les pentes enneigées pour aller se ravitailler en lait frais à la ferme du coin… », c’est sûr aussi que comparé à leurs tours grises et mal famées (« chez nous ça s’appelle la Cité des Fleurs Madame mais on sait pas pourquoi vu qu’y a pas de fleurs…c’est juste les noms sur les immeubles… »), la seule évocation de ma région d’origine a momentanément élargi leur perspective en leur faisant entrevoir un ailleurs plus « chaleureux » que leur quotidien…Ce fut un peu le choc de deux mondes cette première année quand j’y repense…
- et enfin, dernier sujet d'inquiétude: ma situation maritale: là comprenant assez vite que puisqu'ils m'appellent "Miss Bridget" c'est qu'il n'y a pas (encore) de "Mister Bridget", les élèves s'empressent alors de voir avec le(s)quel(s) des profs masculins qu'ils connaissent et supposent susceptibles de me convenir ils vont bien pouvoir me caser... les élèves ont leurs propres critères : mon "futur" potentiel doit être jeune donc, entre 20 et 30 ans, avec une voiture et me dire bonjour dans les couloirs, ce qui pour les élèves est un 1er signe d'intimité. Et alors si le collègue me dit "salut!" et/ou me tutoie, ou pire encore dit un truc du genre "on se voit tout à l'heure...je t'attends pour aller à la cantine..." alors là ça y est, pour les élèves c'est "BINGO!", l'affaire est dans le sac...Pour toi lecteur qui viendrait de lire ceci de tes yeux ébahis, je te jure devant Dieu que j'exagère à peine!...après tout mes 5e Choupinous ne me voient-ils pas "avoir un bébé" avec leur prof principal?...pour l'une de mes classes de 4e, c'est plutôt avec Bouclette qu'il faudrait que j'aille "prendre l'apéro" ! Pour être tout à fait précise, ils pensent que le dit-Bouclette, goujat-de-son-état (selon mes élèves) ferait bien de se faire pardonner après avoir mis en cause mes compétences sportives de manière aussi éhontée...enfin bref, je ne sais trop comment le prendre, mais comme mes "partenaires" changent chaque année et varient même d'une classe à l'autre, je me dis que dans le fond j'ai une vie sentimentale vachement trépidante (de quoi donc ose-je me plaindre alors?!). Au moins dans mon collège actuel les élèves restent élégants, en région parisienne c'était plutôt "au fait Mdame z'avez un keumé ("mec" en verlan)?...non parce que sinon j'ai un cousin qui vient du bled/sort de prison qui pourrait vous rencontrer..." ...no comment!
Cette année la palme de la curiosité revient à ce cher Marvin auquel il serait bon je crois que je consacre un article entier afin de vous aider à mieux cerner le personnage…
Le fait d’être « prof d’anglais », ou même prof tout court suscite aussi quelques interrogations bien légitimes. Petit florilège de questions inoubliables :
- « il faut aller à l’école jusqu’à quel âge avant d’être prof ? »…à ceci un élève fit la remarque judicieuse « mais tu vois bien qu’elle l’a jamais quitté l’école puisqu’elle y est encore maintenant… » (c’est pas faux !)
- « vous avez fait un bac pour être prof ? » (non, non, l’EN manquait de volontaires alors j’ai été recrutée sur catalogue photo…)
- régulièrement j’ai droit à « vous êtes anglaise ? », ce qui est somme toute une question des plus logiques. A ma réponse négative succède généralement « et vous êtes déjà allée en Angleterre ? vous avez déjà vu des vrais anglais ? » (à quoi je réponds que « oui, heureusement pour vous d’ailleurs ! »)…et même en 6e une fois « vous avez déjà rencontré la Reine ? »…
- cette année, Jean-Robert, le Choupinou auteur du message à la Biscotte (cf. « la curiosité est un vilain défaut… ») s’est extasié « vous êtes pas anglaise ? pourtant on dirait, vous parlez bien anglais quand même ! ». Pour une prof d’anglais, c’est bien le moins que je puisse faire….
Bridget, prof et spécimen.
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