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La Piste aux Etoiles!
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6 mars 2007

Récit de journées ordinaires – Journée 1: du calme à la tempête

stormLundi 8h, ma classe de 4e ultra-chiante où se trouvent entre autres mon « frère » Maxou et Chipeste est en sortie pédagogique, donc ce matin j’ai pu dormir 30 minutes de plus et arriver pour 9h au lieu de 8h.

9h, classe de 3eZ : aujourd’hui travail par groupe de niveaux sur un sujet de type-seconde. Dehors il pleut, il fait gris, dedans les élèves sont calmes, encore groggis du weekend (pas tout à fait réveillés en clair) ils travaillent vraiment, cherchent les réponses, sont concentrés sur leurs docs, même Marvin que j’ai pourtant mis seul et qui pour une fois m’appelle peu et seulement pour de vraies questions relatives au travail qu’il est en train de faire. L’heure se déroule sereine, je me dis que la semaine commence décidément très bien et je me sens toute légère et souriante.

10h : récré. Les élèves quittent la salle dans le calme et avec le sourire en me disant « see you this afternoon ! » puisqu’ils m’auront encore une heure cette après-midi. A ce moment-là je ne le sais pas encore mais c’est la fin de la (courte) trêve.

10h et 10 secondes : le dernier 3eZ à peine sorti, Betty entre dans ma classe. Betty est une élève que j’avais l’an dernier dont la vie est une somme de problèmes familiaux-psycho-sociaux-romantico-somato-scolaires. Betty est plus ou moins anorexique, et se laisse souvent envahir par des idées noires voire suicidaires. Depuis l’an dernier, dès qu’elle a un souci (d’ordre familial ou sentimental le plus souvent, Betty recherchant deséspérement l’attention de sa mère adulescente et étant en forte opposition avec son père qu’elle voit en traînant les pieds tous les 15 jours, jugement de divorce oblige, mais n’a qu’une hâte : avoir 18 ans pour pouvoir l'envoyer paître en le traitant de « sale con »), Betty vient me voir ou me fait parvenir des petits mots par des collègues ou m’envoie un e-mail, et je l’écoute, ne suis pas vraiment en mesure de résoudre ses problèmes, mais au fond ce n’est pas ce qu’elle attend de moi, donc j’écoute, conseille, rassure, réconforte etc…Notons que je ne suis qu’une parmi d’autres à assumer ce rôle, Betty s’étant en quelque sorte recréée une famille de substitution au collège parmi les profs, pour compenser le manque à la maison. Que deviendra-t-elle l’an prochain lorsqu’elle quittera le collège (elle est en 3e) et qu’elle ne nous aura plus à plein temps pour lui conseiller de quitter son copain-alcolo de 17 ans, de consulter le planning familial, ou de manger à sa faim, ou de ne pas fuguer… ? J’avoue que cette question me taraude quelque peu au fur et à mesure que l’année avance… Betty est la seule élève que je connaisse qui a pleuré dans mes bras (ou presque) début juillet l’an dernier parce que c’était le dernier jour et que 2 mois de vacances cela lui semblait insurmontable…

Donc Betty entre dans ma classe et commence par des banalités, mais comme je la connais je lui demande très vite « je vois que tu as un souci, je t’écoute qu’y-a-t-il ? ».   Elle ne veut pas aller chez son père ce weekend car il y a justement une journée porte ouverte dans l’établissement qui l’intéresse pour l’an prochain. Les parents ne sachant se comporter en adultes responsables, Betty a peur que sa mère ait des soucis avec le juge pour « non-présentation d’enfants » (le père menace) si elle ne va pas chez lui. Elle est perdue, ne sait à qui s’adresser. Nous y passons la récréation entière, discutant du problème, de son orientation, de ses résultats (insuffisants), de ses désirs d’émancipation, de couper les ponts avec son père…etc

10h15 : Driiiiiiiiiiiiiing ! fin de la récré, Betty et moi nous en retournons chacune vers nos classes respectives. Plus tard le père sera appelé mais sa décision restera inchangée, Betty l’a prévenu au dernier moment comme d’habitude dit-il, il avait planifié quelque chose qu’il ne peut annuler, et tant pis si sa fille qui ne sait déjà pas ce qu’elle veut faire rate une bonne opportunité pour se renseigner et éclaircir un peu son proche avenir, bien nébuleux pour l’instant. Qu’y faire ?

1h30 après mon arrivée je me sens tout à coup moins légère et moins tranquille.

11h : classe de 5e. Je surveille un devoir, rien de bien fatigant, et j’en profite donc pour faire ma fameuse inspection des carnets, et comptabiliser les oublis et autres rappels à l’ordre afin de distribuer les heures de colle appropriées. Dans la foulée, je demande un RDV à la famille de Pilou. Pilou ne fait plus rien, et, pire, il fait souvent pression sur ses camarades pour recopier leurs devoirs. Sa dernière trouvaille a été de scanner la punition d’une copine pour ensuite rajouter son nom et perforer la feuille tout bien comme il faut pour faire plus vrai, pensant sans doute que les profs sont si aveugles qu’ils ne savent pas, devant 2 copies identiques mais aux noms différents, distinguer l’originale de la contrefaçon scannée.  Pilou nous prenant manifestement pour des c***s je décide qu’il faut frapper fort et lui dis sèchement qu’il aura à répondre de son œuvre de faussaire (que je garde en main comme un précieux trésor pour le produire devant les parents au moment opportun) devant parents et CPE.

12h : Driiiiiiiiiiing ! copies rendues, la classe s’en va. Pilou reste et me tourne autour car il veut plaider sa cause, et là attention sortez les violons, c’est du grand art, Pilou  devrait tenter le Cours Florent il a ses chances moi je dis !. Extraits : « mais Madame, vous comprenez pas, laisse moi t’expliquer, on veut pas me faire confiance…en fait j’ai scanné pour aller plus vite et éviter de ramener mon livre mais j’avais bien l’intention de recopier la punition au propre au dos de la feuille…vous convoquez ma mère, mais tu vois moi franchement j’ai de la pitié pour elle, ça va lui déchirer le cœur quand elle verra l’image qu’on donne de moi ma mère, tu vois moi je pense à ma mère, elle va avoir trop de peine, c’est ça tu comprends pas… ». Après 10 minutes de ses jérémiades, voyant qu’il ne reconnaît pas ses torts et essaie de jouer sur les sentiments, cela m’énerve ! Encore plus que le basculement du vouvoiement au tutoiement (pour m’apitoyer ? sous le coup de l’émotion ?) que j’ai cessé de relever au bout de quelques secondes, et je dois l’expédier hors de la classe, d’autant plus qu’il a haussé le ton et se fait plus pressant. Il s’en va en me répétant que je ne me rends pas compte du mal que je vais faire à sa mère. Et lui alors ?

12h20 : j’arrive en salle des profs, mes comparses ne m’ont pas attendue (l’appel du ventre est plus fort que tout !), mais j’en trouve d’autres pour partager le repas 100% fécule et friture du jour.

13h : pré-conseil de la classe de 3eZ. Encore sur ma bonne impression du matin je positive et parviens à (presque) tous leur trouver des qualités.

14h : classe de 3eZ. Dernière séance du travail de groupe. Cette après-midi le soleil brille. Trop d’efforts le matin sans doute, c’en est fini du calme et de la motivation de Mitch et Marvin. L’un (Marvin) ne consent à écrire que quand je me plante devant lui d’un air menaçant, et encore non sans moults protestations assorties d’autant de sourires enjôleurs sur le thème « je sais que je gâche mes possibilités, que je suis bon en fait [je me demande encore comment lui et son ego arrivent à passer les portes, mais passons… !], mais je sais pas, je trouve pas l’envie, regardez il y a du soleil dehors, moi je veux être avec mes copains…en plus je dois rendre mes vœux d’orientation pour l’an prochain, j’sais déjà pas moi-même ce que je veux faire ! …ah trop dur la vie ! ». J’essaie de lui faire entendre qu’il a peut-être besoin de parler à quelqu’un de ce qui l’empêche de se motiver (psy ?), mais il est comédien et le but de sa manœuvre est aussi de m’accaparer pour que les autres n’en profitent pas. Et ça m’énerve, parce que je n’arrive pas à le laisser tout seul dans son coin comme un pauvre malheureux même si c’est peut-être ce qu’il mériterait ! Grrrrrrrrrrr !

L’autre (Mitch), ressentant les premiers émois du printemps sans doute se lance dans de grandes déclarations. J’ai droit tour à tour à « Miss, you are too beautiful ! », « you are very intelligent ! » déclamés d’une voix de ténor gestes emphatiques à l’appui et avec un accent que dieu merci l'écrit épargne à vos oreilles. Son anglais étant très limité il revient très vite à un plus traditionnel « oh Madame c’est fou comme je vous aime trop bien en fait…can you giving me your adresse MSN for chatting le soir ? » (là il faut l’imaginer me mimant le fait de chatter sur sa table pour plus de réalisme !). Dès que je le foudroie du regard et lui intime sèchement de se taire, il se cache derrière son mini-cahier de brouillon vert pomme puis la rehausse légèrement pour avoir juste les yeux qui dépassent du cahier et vérifier si je le regarde. En clair, à 16 ans et plus d’1 m80, il joue à cache-cache comme s’il en avait 5….Il en est tellement ridicule que j’en souris…erreur fatale, ça l’encourage, il est ravi de son œuvre !

Ils sont DESESPERANTS !!!!

drame14h30 : le drame ! Marie est soudain prise d’une crise d’asthme et tétanie, elle suffoque pour aspirer un peu d’air et ses mains blanchissent et se contractent de manière inquiétante et douloureuse. C’est la panique, mais il faut garder son calme. La classe, tétanisée et effrayée (c’est très impressionnant je vous assure !) ne dit plus un mot. J’envoie Mitch et ses grandes jambes me ramener dare-dare l’infirmière, et masse les épaules de Marie en lui parlant doucement pour l’apaiser, elle ne peut pas se lever et sa respiration est de plus en plus sifflante. Les secondes défilent comme des heures, je l’imagine tomber raide morte au milieu de ma classe et moi condamnée à perpét’ pour n’avoir pas su la sauver. Tous les élèves ont les yeux braqués sur elle. Petit à petit cependant elle se calme, respire plus profondément, m’écoute…l’infirmière arrive enfin, et finalement ce sont Mitch et Marvin qui l’aideront à escorter Marie à l’infirmerie. Cela les rachète pour le début de l’heure (à mes yeux), surtout que très inquiets ils se comportent de manière impeccable dixit l’infirmière, même si ils demandent à voix basse avec inquiétude « dites elle va pas mourir quand même ? », ce qui n’a pas du beaucoup rassurer Marie (si elle les a entendus). Ouuuuufffffffff ! Evidemment pour la suite de l’heure, le cœur n’y est plus…

15h : fin officielle de ma journée ce jour. Je descends à l’infirmerie prendre des nouvelles de Marie. Elle dort, tout va bien, plus de peur que de mal, ce n’était qu’une crise d’angoisse + tétanie.

15h10 : retour en salle des profs. J’appelle la maman de Pilou ,rendez-vous est pris sans problème pour la fin de semaine. Cela ne veut pas forcément dire qu’elle viendra…

15h30 : j’appelle la maman de Wilfried, pour lui parler des problèmes d’intégration de son fils dans ma classe (il ne cesse de chercher querelle à ses camarades, les provoquant par des mots ou des insultes, puis va s’en plaindre, de préférence à voix haute et devant tout le monde…dans le même genre il aime aussi à dire aux profs « untel n’a pas fait son travail…etc »…,ou comment s’attirer la sympathie de toute une classe). Bref ses camarades ne le supportent plus, et parfois j’avoue que je les comprends. Pour la maman il n’y a aucun problème, son fils est un peu agressif sans doute parce qu’il ne se sent pas toujours « sécurisé » dans le collège, il est choqué parfois des propos de certains élèves, c’est « que vous comprenez il est très protégé à la maison, il n’a pas l’habitude, il faut dire que dans son établissement précédent (privé forcément) ce n’était pas le même milieu social ni culturel ! ». OK d’accord je crois que je commence à comprendre,  n’a-t-il pas dit un jour en plein cours à un petit Amine que « l’arabe est une langue sale » parce que celui-ci lui avait dit un gros mot dans cette langue ??? Mais bon il n’y aura aucun problème vu que Wilfried va partir seul un an en Inde dans une « école internationale  où l’on prône des vertus humanistes et où l’on vise à l’épanouissement des valeurs spirituelles de l’enfant », tout est prêt, billet acheté, il peut revenir quand il veut bien sûr, non il n’est pas trop jeune, ni inquiet, oui il est ravi, quelle formidable expérience !, non cela ne va pas encore plus le couper du monde réel (dans lequel il devra pourtant vivre) qu’il ne l’est déjà, tout ira bien il s’adaptera parfaitement et n’aura aucun problème de réadaptation à son retour en France, « tout va bien Madame Bridget » !. A la description de l’école, allez savoir pourquoi, le voyant « danger-secte » s’est allumé dans un coin de mon cerveau… Affaire à suivre…

16h10 : je peux enfin raccrocher, il semble que cette maman-là soit au moins aussi bavarde que moi…ce que j’ai entendu ne m’a pas rassurée…

16H15 : discussion du cas de Pilou et sa punition scannée autour d’un café avec une collègue, nous en profitons pour échanger quelques ragots de couloir, ça fait toujours du bien…

16h55 : je quitte enfin le collège (j’aurais déjà du le faire il y a 2 heures !).

Arrivée maison : la disquette sur mon bureau me rappelle que les bulletins remplis sont à rendre pour jeudi et que je n’ai pas vraiment commencé….

Et ce n’est que le début de la semaine…elle sera longue je crois…

Bridget, qui a décidé de reporter son régime « moins de chocolat plus de sport » à plus tard pour cause de pas le temps et besoin de douceurs réconfortantes…

Désolé lecteurs pour le ton tout sauf « fun et divertissant » de ce post, mais un prof ne peut quand même pas se marrer à longueur de journée, non ? Sinon pour le coup d’aucuns pourraient penser qu’il est payé à ne rien faire… !

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